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Nicolas Wild à la maison des Femmes

Paru le 27.09.2021
L'actu BD

Rattachée au Centre hospitalier de Saint-Denis, La Maison des femmes est un lieu de prise en charge unique des femmes en difficulté ou victimes de violences au sein de laquelle près de de 80 personnes engagées accueillent entre 50 et 80 femmes chaque jour. Nicolas Wild lui consacre sa dernière BD reportage.

Nicolas Wild, vous êtes auteur de BD reportage depuis plus de 14 ans. Alors que vos précédents livres nous entrainaient plutôt du côté du Moyen-Orient, votre nouvelle bande dessinée porte notre attention sur l’action d’un collectif qui se déroule pratiquement sous nos yeux, en Seine-Saint-Denis. Pourriez-vous nous faire la genèse de ce projet ?

Nicolas Wild : Mon sujet de prédilection, depuis toujours, c’est la géopolitique. Donc, oui, j’aime voyager, notamment dans des pays en crise, au Moyen-Orient, dans les ex-pays soviétiques. En BD reportage, ce qui est très facile à faire c’est de raconter en images des témoignages pour lesquels on n’a pas d’image. Le livre dont nous parlons a pour cadre La Maison des femmes.

La Maison des femmes est une maison à Saint-Denis au nord de Paris qui a été créé par une gynécologue d’origine libanaise, Ghada Hatem, en 2016. C’est une structure assez novatrice qui accueille des femmes en détresse ou en situation de vulnérabilité, qui propose à la fois soin, écoute et aide. C’est un bon endroit pour se réparer, se soigner, se reconstruire.

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À l’origine du projet, il y a la rencontre en 2017 avec Nicolas Grivel, un agent littéraire spécialisé en bande dessinée. C’est lui qui m’a proposé de travailler sur La Maison des femmes. Son épouse y est sage-femme. C’est un projet qui comptait beaucoup pour eux deux. Ils recherchaient depuis longtemps un auteur de bande dessinée prêt à se pencher sur ce sujet et à se l’approprier. Dans un premier temps, je dois avouer que mon enthousiasme pour ce projet était assez modéré. Le voyage étant un stimulant important dans mon travail, je n’avais jamais imaginé faire une BD reportage se déroulant en France. Mais suite à une première visite sur place en compagnie de Nicolas Grivel, j’ai assez vite saisi la richesse et la diversité du lieu. J’ai accepté et j’ai commencé à rencontrer des femmes qui m’ont raconté leur vie, leur expérience. Et grâce à leurs souvenirs, leur mémoire visuelle, j’ai pu remettre en image ces événements.

Depuis quelques années, l’actualité met beaucoup plus en avant la cause des femmes. Est-ce aussi ce qui vous a décidé à accepter la réalisation de cette BD reportage ?

Le moment où j’ai commencé le projet, en 2017, correspond au début de l’affaire Weinstein et du mouvement #Metoo, un moment où les violences faites aux femmes est devenu un sujet de société incontournable. Mon reportage reflète donc à la fois mon propre parcours dans La Maison des femmes, le parcours des femmes que j’ai rencontrées et, finalement, celui que l’ensemble de notre société est en train de vivre. Ces trois fils narratifs tissent, sur une période de quatre années, un récit choral se déroulant dans plusieurs pays, passant de l’intimité de la vie familiale aux couloirs du tribunal de grande instance de Créteil. La Maison des femmes n’est pas seulement un bâtiment à Saint-Denis, c’est aussi la planète sur laquelle nous vivons.

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À la lecture de votre livre, on découvre une directrice de La Maison au caractère bien trempé et qui semble dotée d’une énergie impressionnante. Pourriez-vous nous parler de cette rencontre ?

En effet, j’ai pu suivre la créatrice de La Maison des femmes, Ghada Hatem, dans différentes circonstances, notamment à l’Assemblée nationale où elle faisait du lobbying pour lever des fonds pour l’agrandissement du lieu. Sa propre histoire fait écho au destin de certaines femmes qu’elle accueille à Saint-Denis. Elle-même a dû quitter le Liban en 1977 alors en pleine guerre civile. Elle confiera que l’expérience de la guerre aura développé, chez elle, « une intolérance à toute forme de violence »

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Le projet de La Maison des femmes fait suite à la période où elle a dirigé le service maternité à l’hôpital Delafontaine de Saint-Denis qui, bien que rénové, était trop à l'étroit dans ses locaux. C’est à ce moment-là que Ghada Hatem décide la construction de ce qui deviendra La Maison des femmes, une Maison capable de proposer une prise en charge globale. La première pierre sera posée en 2014 et ouvrira deux ans plus tard.

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Maintenant que ce livre est terminé, pourriez-vous nous dire s’il correspond au projet tel que vous vous l’imaginiez initialement ?

Au début, le livre devait être plus court, autour de 100 pages, et il devait raconter une semaine à La Maison des femmes. Et de rencontres en rencontres, le nombre de thématiques, de témoignages était tel que j’ai décidé de faire un livre plus long et plus étalé dans le temps. Sa réalisation m’aura occupé durant quatre années. Le résultat constitue presque une mini fresque historique qui regroupe énormément de sujets.

Oui, les récits s’enchaînent, très différents les uns des autres, ce qui donne une vision très large des situations qui se présentent à La Maison des femmes. Une chose à souligner également est la présence de pages de bande dessinée qui ne sont pas de votre main...

Il y a de très belles histoires, des histoires de reconstruction, de femmes qui étaient au bout du rouleau et qui ont trouvé une écoute, un endroit pour parler, pour échanger et parmi les personnes que j’ai rencontrées, il y a Sophie qui dessine elle-même. Pendant sept ans elle a été victime de violences conjugales. Durant cette période, elle racontait dans un carnet, en bande dessinée, ce qui lui arrivait. Elle a accepté que je reproduise ses dessins dans la BD. Donc quand je raconte son histoire, ses propres dessins interviennent dans le récit, ce qui donne une bande dessinée à quatre mains et ajoute une dimension particulière à ce récit. Elle m’a confié que ce carnet de dessin l’avait aidée à tenir pendant cette période très, très noire. Se cacher pour dessiner lui permettait de prendre du recul et à évacuer la douleur qu’elle avait en elle.

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Quand on crée on se distancie de soi-même, on est dans un autre monde en quelque sorte. Cette capacité à se projeter dans un ailleurs, on la perd quand on est victime de violence, quand on vit dans un camp de réfugié ou que l’on est emprisonné. On est empêché de se projeter, même mentalement. Quand on y parvient quand même, comme Sophie qui a trouvé cette force, c’est une façon de se dire : « Ce que j’ai vécu a vraiment existé. Je peux le voir et le transmettre, le montrer à d’autres personnes grâce à ce biais. » Je pense que c’est un des buts de l’art, de la bande dessinée, d’apporter de la poésie et de raconter les horreurs du monde avec beauté. C’est comme un baume qui soigne.

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