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Mediator - Un crime chimiquement pur - Lisez l'interview des scénaristes

Paru le 02.01.2023
L'actu BD

Le Dr Irène Frachon, lanceuse d’alerte du scandale du Mediator s’associe à l’écrivain Eric Giacometti, ex-journaliste qui avait enquêté sur l’Isomeride, autre coupe-faim des laboratoires Servier. Leur enquête, enrichie de pièces inédites, révèle les arcanes d’un crime hors norme qui a conduit à l’un des plus grands procès de santé publique.

Pourriez-vous nous rappeler les tenants de l’affaire du Mediator ?

Irène Frachon - Il s’agit de la commercialisation à partir des années soixante, par un laboratoire français (Servier), de médicaments coupe-faim, très similaires, dérivés de l’amphétamine. Noms commerciaux : Pondéral, Isoméride et Mediator. Au fil des ans une grave toxicité cardiaque et pulmonaire est suspectée puis démontrée aboutissant à l’interdiction en théorie de tous ces produits en 1997, sauf le Mediator. On s’aperçoit que toutes ces pilules libèrent dans l’organisme un véritable poison pour le cœur et les vaisseaux sanguins. Il faut comprendre quatre points importants. 

 

  1. Le retrait de ces produits a été très difficile, retardé par des manœuvres d’intimidation de la firme concernée, allant jusqu’à de véritables actes de « barbouzerie » à l’encontre des scientifiques ayant alerté.
  2. Les victimes de ces coupe-faim sont restées sur le carreau en France, contrairement à ce qu’il s’est passé aux Etats-Unis.
  3. Le Mediator est en fait resté sur le marché au-delà de 1997 car le laboratoire dissimule sa vraie nature chimique, dangereuse, et le présente comme un inoffensif traitement contre le diabète.
  4. Le laboratoire et les autorités de santé françaises vont ignorer de multiples alertes pendant des dizaines d’années jusqu’à ce que je prenne l’affaire à bras le corps afin d’obtenir le retrait du médicament en 2009 et la révélation au grand public d’un immense scandale sanitaire. L’affaire éclate et ne connait toujours pas encore son épilogue judiciaire ultime. Le nombre de décès tourne autour de 2 000 et plus de 4 000 victimes (décédées ou survivantes) ont été reconnues et indemnisées à ce jour. On en meurt encore aujourd’hui. 
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Pourquoi utiliser le média de la bande dessinée pour parler de ce scandale sanitaire ?

Irène Fracon - C’est un moyen accessible de raconter un scandale qui se déroule comme un thriller médical. Une affaire qui nous concerne tous. Sur le Mediator il y a déjà eu un film palpitant réalisé par Emmanuelle Bercot, La fille de Brest. La BD permet de raconter toute l’affaire, sans y mêler de la fiction. Nous avons beaucoup exploité les révélations de l’enquête aux pénal et expliqué les ramifications tentaculaires de ce scandale. 

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Eric Giacometti - Par sa dimension pédagogique, la BD d’investigation est un formidable outil pour la démocratie. Combien de fois ai-je entendu, quand j’étais journaliste, des gens avouer que les « affaires » étaient trop compliquées. Par ailleurs, le dessin apporte une dimension artistique, inexistante dans un livre. Ce n’est pas que la mise en dessins d’une affaire. Le dessinateur, François Duprat, s’est approprié le sujet pour apporter sa créativité avec des planches très fortes. 

Comme celle où l’on découvre Irène face à une mer qui charrie les corps des victimes du Mediator. J’ai eu le cœur serré en la découvrant. Je suis persuadé qu’à l’avenir les récits d’investigation seront beaucoup plus marqués par la patte des dessinateurs. 

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Irène Frachon, pneumologue et lanceuse d’alerte, Eric Giacometti, auteur de polar et scénariste de BD. Comment est né cet improbable duo de scénaristes ?

Eric Giacometti - C’est une histoire singulière. J’ai été journaliste dans la presse grand public, et un temps dans l’investigation dans la santé publique. J’avais enquêté sur l’Isoméride, avec à la clé le premier procès en diffamation de ma carrière par Servier. Ça marque ! Hélas, le scandale a fait flop, il n’avait pas eu son Irène Frachon. Cet échec m’était resté en travers de la gorge. Des années plus tard en 2011, après mon audition par la mission d’information sénatoriale sur le Mediator j’ai rencontré Irène, devenue la lanceuse d’alerte que l’on connait. Nous avons sympathisé et sommes restés en contact pendant des années.

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Irène Frachon - En 2019, j’ai lancé l’idée à Éric d’écrire ensemble une BD, pour « raconter cette histoire de dingues ». Il était devenu entretemps le scénariste de Largo Winch et avait beaucoup appris en particulier sur la vulgarisation de concepts économiques complexes. L’objectif est de donner une perspective globale et faire le lien entre l’Isoméride et le Mediator. Le projet a été lancé avec l’engagement solide de Guy Delcourt, avec l’aide de qui le choix s’est porté sur l’excellent dessinateur François Duprat, au dessin sensible et vivant, épaulé par l’épatant coloriste Paul Bona.

Cette affaire est aussi une chronique judiciaire. Où en sommes-nous ?

Irène Frachon - Un procès pénal hors norme, d’une durée de sept mois, s’est tenu de 2019 à 2020 et a abouti à une condamnation en première instance de l’agence française du médicament, devenue définitive en l’absence d’appel. La firme a également été condamnée pour tromperie aggravée, blessures et homicides involontaires mais relaxée du délit d’escroquerie. Un grand procès en appel contre Servier va s’ouvrir début 2023. De 2010 à aujourd’hui, de multiples procédures judiciaires menées devant les tribunaux civils, administratifs et l’office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) ont abouti à des indemnisations de victimes à hauteur de plus de 200 millions d’euros.

Dans cet ouvrage, vous invitez les lecteurs à s’investir à leur tour. Pourriez-vous nous en dire plus ?

Irène Frachon - Dans cette affaire, un « capitaine d’industrie » français, le docteur Jacques Servier, a trahi la confiance des concitoyens dans un domaine sacré, intouchable, celui de la santé et de la vie des gens. En dépit d’alertes il a été constamment honoré et décoré par les responsables politiques. Au nom de la santé et des emplois officiellement, mais également dans un non-dit malsain, en récompense des services rendus, des contributions financières, des compromissions multiples… Jusqu’à la reconnaissance honorifique suprême, la grand-croix de la Légion d’honneur !

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Eric Giacometti : Cette distinction a choqué l’opinion publique. Aussi, nous proposons à la fin de cet album, aux citoyens concernés de manifester leur indignation de façon simple et gratuite. Ils pourront eux aussi participer au combat des victimes et d’Irène.

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