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#J’accuse…! – Et si l’affaire Dreyfus avait été de nos jours ?

Paru le 01.09.2021
L'actu BD

Comme à son habitude, Jean Dytar adapte son travail à son sujet. Pour aborder l’affaire Dreyfus, il expérimente un dispositif inédit dans lequel la bande dessinée paraît céder la place aux médias actuels tout en démontrant son incroyable capacité d'évocation et son efficacité narrative. #J’accuse est à la fois un document, une œuvre puissante et un récit judiciaire passionnant. L'auteur vous raconte comment il a conçu ce livre.

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Les origines du projet #J’accuse…!

A la fin de Florida, un personnage exprimait l’idée suivante :

« S’il est nécessaire de façonner les imaginaires, c’est pour mieux pouvoir, ensuite, façonner la réalité. »

Je tentais déjà de m’interroger sur les représentations médiatiques, leurs mécanismes de fabrication et de diffusion, leurs biais et leurs effets sur le réel. Ce sont ces phénomènes que j’ai voulu approfondir. Depuis plusieurs années, je suis particulièrement frappé par la façon dont le débat public se polarise très vite sur toutes sortes de sujets. Et c’est en voulant orienter le regard plus précisément dans cette direction que j’ai eu l’idée de m’intéresser aux ressorts de l’affaire Dreyfus.

Je me suis donc plongé dans des livres d’Histoire, évidemment nombreux sur un sujet qui n’a cessé d’être scruté et analysé depuis plus d’un siècle, et surtout dans la presse de cette époque et dans les témoignages de certains protagonistes. Un retour aux sources qui m’a donné le sentiment d’un matériau extraordinaire à restituer et incarner ! Dès lors plusieurs intentions se sont agrégées : d’abord l’envie de jouer avec un dispositif hybride, entre les médias contemporains (numériques ou télévisuels) et la presse du XIXe siècle. Ensuite, le désir graphique d’un dessin réaliste en hachures noir et blanc s’est imposé, en écho aux gravures de presse, ainsi que l’intégration de typographies du XIXe siècle.

Enfin, une contrainte de taille m’a paru intéressante : n’utiliser que des extraits de textes authentiques, afin de donner à lire l’affaire Dreyfus au plus près de ce qu’elle a vraiment été.

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Au début, je voulais me mettre à la place d’un lecteur ordinaire qui reçoit chez lui les informations traitant de l’affaire. Puis, j’ai lu le témoignage de Mathieu Dreyfus, le frère d’Alfred, qui m’a étonné par sa franchise, sa clarté, et m’a fait comprendre certains mécanismes souterrains qui n’étaient pas perceptibles en lisant seulement la presse.

C’est alors que j’ai décidé d’alterner des séquences de témoignages, comme dans un documentaire télévisé, où l’on vit le combat pour la défense de Dreyfus de l’intérieur, et des séquences d’articles de presse transposés dans divers dispositifs médiatiques contemporains, où l’on perçoit le débat public d’un œil extérieur. J’ai aussi intégré d’autres témoignages de protagonistes de la première heure : Bernard Lazare, Auguste Scheurer-Kestner, le commandant Forzinetti, et bien sûr Emile Zola.

Quant aux journaux, plus de 300 extraits d’articles ont été finalement sélectionnés et mis en scène. Dans cette polyphonie, Mathieu Dreyfus fait figure de fil conducteur, faisant le lien entre la dimension familiale, sinon intime, du drame qui se noue, et la dimension politicomédiatique plus globale.

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Une affaire à la fois ancienne et moderne

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À titre personnel, j’ai été stupéfait par la modernité de bien des aspects de cette histoire, tant dans la toile de fond idéologique (nationalisme et ressentiment, stigmatisation paranoïaque d’« ennemis de l’intérieur », luttes pour et contre la tentation d’un pouvoir autoritaire, etc.) que sur le plan des processus médiatiques (fake news, complotismes, éditorialistes faiseurs d’opinion, info en continu, effets de buzz, pétitions, financements participatifs… jusqu’au besoin de déconnexion !).

Au-delà de la situation personnelle de Mathieu Dreyfus qui s’engage pour libérer son frère, il s’agit d’un grand combat pour la justice et la vérité, mais aussi pour l’égalité de tous les citoyens devant la loi, et contre l’arbitraire et l’opacité d’un pouvoir, face à un camp qui revendique la cohésion nationale comme valeur suprême, au mépris de tout le reste. Le champ de bataille de ce grand conflit idéologique se situe principalement dans l’espace médiatique. Les armes en sont les mots.

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#J’accuse essaie donc de faire vivre cette bataille d’idées « comme si on y était », à travers une représentation qui restitue un récit exact sur le plan historique, dans une mise en scène anachronique : le frottement entre ces deux plans, que je crois exigeant et ludique à la fois, permet, à mes yeux, de produire des effets de sens singuliers, des échos inattendus, et sans doute une sensation d’étrange familiarité…

J’espère que ce livre aidera à porter un regard renouvelé sur l’affaire Dreyfus tout autant qu’à mettre en perspective, depuis l’affaire Dreyfus, l’état du débat public contemporain…

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