Elise et les Nouveaux Partisans – Un témoignage de Dominique Grange
Tardi et Dominique Grange signent ici un roman graphique passionnant, dont le personnage central, Elise, nous offre un témoignage riche et documenté sur une époque qui n’est pas sans faire écho aux mouvements sociaux qui jusqu’à ce jour n’ont pas cessé d’agiter la France.
Elise, jeune chanteuse « montée » de Lyon à Paris en 1958 pour tenter sa chance, tourne le dos au showbiz, suite au mouvement contestataire de mai 68 au cours duquel elle s’est radicalisée. Comme tant d’autres qui refusaient le « retour à la normale » dicté par le pouvoir, elle rejoint le maquis des luttes contre l’exploitation, les inégalités, le racisme…
« Elise et les Nouveaux Partisans » nous entraîne de Lyon à Paris, puis à Nice, avec toute l’acuité du vécu mêlé au romanesque, dans le sillage d’une jeune femme dont l’existence soudain bascule. Elle devient militante de base d’une organisation d‘extrême-gauche, la Gauche Prolétarienne, laquelle sera à la pointe des luttes sociales en France, dans les usines, quartiers, lycées, foyers de travailleurs immigrés, prisons, à partir de l’automne 68. J’ai voulu qu’on puisse suivre Elise dans un cheminement qui témoigne de son engagement au service des plus exploités, des plus discriminés. Elle sera ouvrière, connaîtra la prison et la clandestinité, incarnée dans des images riches et parfois glaçantes, sur fond de conflits sociaux qui ont continué bien après mai 68.


Un parcours atypique, de son adolescence en pleine Guerre d’Algérie, jusqu’à la fin des années 70. Un parcours marqué aussi par les tragédies qui ont ensanglanté la planète : massacre des Palestiniens de Jordanie (« Septembre noir »), écrasement du « Printemps de Prague » par les chars soviétiques, Guerre du Vietnam, massacre des étudiants à Mexico, Coup d’État civico-militaire au Chili…
Nourries des espérances d’une génération en colère qui refuse le repentir et l’oubli, les chansons d’Elise dénoncent la violence de la répression qui tente d’écraser toute forme de résistance à l’oppression de l’État. Souvent écrites sur le terrain, elles dénoncent aussi les conditions de vie des détenus (La Voix des prisons), les brutalités policières (À bas l’État policier !), l’assassinat d’un jeune ouvrier à Renault (Pierrot est tombé), les catastrophes minières comme celle de Liévin (Gueule noire)… sans oublier son hymne révolutionnaire, « Les Nouveaux Partisans », déclaration de guerre sociale et politique au « nouveau fascisme », aux patrons et aux flics !
Elise rassemble ici les petits cailloux blancs d’une mémoire collective que certains tenteront ensuite de vider de son contenu, de ses valeurs d’égalité, de justice et de fraternité. J’ai voulu faire de ce personnage le témoin d’un parcours militant dont nous sommes nombreux/ses à revendiquer, aujourd’hui encore, les justes motivations. Car Elise incarne la volonté de garder bien vivant et de transmettre aux générations d’après ce patrimoine que constituent les luttes du passé pour inspirer celles du futur.

Texte de Dominique Grange pour Histoire et Histoires